La photo numérique

25 avril 2012 by Guillaume

Quand j’étais encore plus jeune que maintenant, je me souviens que chaque appui sur le déclencheur de l’appareil photo était murement réfléchi. J’avais toujours à l’esprit le nombre de photos restantes sur la pellicule, et le fait que le développement coutait quarante francs. Maintenant, ô miracle du numérique, pas besoin de réfléchir, c’est gratuit et ma carte mémoire peut contenir 6000 photos.
Mais la disparition du négatif est-elle positive ? Est-ce que l’illimité et l’instantané de la photo ne lui ont pas enlevé sa magie ? Séquence nostalgie.

Ouvrir la pochette de tirages en sortant de chez Kodak, c’était comme ouvrir un cadeau, avec des surprises, bonnes ou mauvaises, et des choses qu’on avait oubliées. C’était l’occasion de se remémorer de bons moments, proches ou lointains. Aujourd’hui, finies la surprise et l’angoisse, on sait tout de suite si ça a marché, et on regarde les photos au fur et à mesure en se remémorant les souvenirs d’il y a trois heures. Et comme personne ne se demande plus ce qui vaut une photo ou pas, on en prend des centaines, des milliers, qu’on n’a jamais le courage de trier sachant que la plupart sont floues, à contre-jour, en triple, ou simplement d’un intérêt discutable. Ce qui a changé au fond c’est qu’il n’y a plus besoin de vacances ou d’un mariage pour sortir son appareil : la moindre soirée entre amis vire à la séance photo, et il suffit qu’il se passe quelque chose d’un minimum marrant pour que vingt personnes prennent exactement la même photo avec leur smartphone pour frimer sur Facebook, Twitter, Flickr, etc.

Un problème avec les APN c’est que leur rendu est un peu triste : pas de grain, pas de profondeur… Assez impersonnel au fond. Et comme chacun veut être unique, des applications genre Hipstamatic ou Instagram font croire à leurs utilisateurs qu’ils sont des artistes parce qu’ils prennent des photos sépia et carrées. On paie cher pour des capteurs performants dans les téléphones et on finit par faire des photos saturées, surexposées, avec des aberrations chromatiques et des rayures. Mais c’est le web, c’est viral, et c’est le goût universel jusqu’au jour où la mode sera aux photos en négatif ou avec un pedobear incrusté. Et ce jour là, nos photos avec effet Polaroid nous paraîtront rétrospectivement aussi magnifiques que les sweats LC Waïkiki de nos années collège.

Une photo de Nicolas Sarkozy et une autre d'un zèbre, avec un filtre Instagram

Oh! Des photos Instagram! Ça donne envie de voter Sarkozy et d'enculer un zèbre.

Bref, le numérique est un progrès technique formidable, mais qui a tué l’âme de la photo. L’argentique avait une valeur, elle était unique, réfléchie, maintenant on mitraille sans réfléchir puis on stocke pour l’éternité des images d’un hot dog ou du brouillard. Et pourtant on sourit en regardant sur les photos jaunies l’air un peu trop sûr de soi que l’on prend à 16 ans, et que l’on fait de son mieux pour paraître plus vieux.

Deux pouces, c'est vraiment pas terrible !
Deux pouces parce que tout n’est pas perdu, et si on se dit qu’à chaque photo prise c’est un enfant d’Afrique qui meurt, on reviendra peut-être à quelque-chose de plus raisonnable, 10-15 par jour, pas plus.

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