Les restaurants branchés

17 août 2012 by Guillaume

Un plat qui se la pète

Ce soir vous hésitez sur le restaurant que vous allez choisir avec vos amis. L’un propose un chinois, l’autre des burgers, et le troisième une pizza surgelée. Après l’avoir jeté dans le cours d’eau le plus proche, alors que vous croyez être enfin entre gens de qualité, quelqu’un propose un restaurant français. Silence, malaise. Votre ami n’a visiblement pas compris qu’un restaurant devait vous sortir de l’ordinaire et ne peut donc pas se contenter de faire de la "cuisine française", même si vous mangez beaucoup plus souvent des sushis que du cassoulet.
Heureusement pour notre gastronomie nationale, de petits génies ont inventé des concepts, un mot tellement dénué de sens que je me vois dans l’obligation de le mettre en italique. Là où on ne serait pas allé parce qu’il n’y avait rien d’original, les étiquettes "fooding" et "bistronomique" déplacent les foules. Et Dieu sait que les foules sont connues pour leur sens du discernement.

Ces deux mots sont des néologismes datant du début des années 2000 mais ayant déjà un grand succès, peut-être plus dans le 11ème qu’à Roubaix je vous l’accorde. Le premier est la contraction de food et feeling, imbriqués de manière si absconse qu’on en devinerait presque que c’est l’œuvre d’un Français. Même s’il n’est pas nécessaire de savoir ce que ça signifie pour se pâmer devant, sachez que cela désigne une cuisine "moins rigide, et plus libertaire". Vous avez saisi : ça ne veut rien dire si ce n’est mettre du chutney de mangue à la place des échalotes sur un onglet, mais ça n’a pas empêché son créateur de faire du mot fooding une marque déposée. Oh, vous ne savez pas ce qu’est un chutney? C’est un mot indien qui désigne une sauce aigre-douce très pimentée, et qui sous nos latitudes sert à vendre une confiture trois fois son prix.

Bistronomique est un autre mot-valise composé de bistrot et gastronomique, qui prétend désigner des lieux tenus par de grands chefs pratiquant une cuisine simple à des prix abordables. Cityvox cite comme exemple Mets Gusto qui a "le goût de la tradition et la saveur de la modernité" ce qui prouve que même le stagiaire journaliste n’a pas compris ce qu’il devait en dire, tandis que Slate préfère l’Hédoniste, un "modeste bistrot" et son menu à 35€.

Papier toilette noir

Le papier toilette noir, un accessoire chic qui justifie une carte 10% plus chère, mais qui empêche d’examiner les grumeaux.

Au fond, qu’est-ce qu’il faut pour qu’un restaurant soit fooding à part utiliser le mot "compotée" dans sa carte ? Il faut qu’il s’adapte à une clientèle en recherche de quelque chose de nouveau mais qui le conforte dans ses habitudes. Une équation simple à réaliser avec de la cuisine fusion (exotique mais pas assez pour que ça pique, français mais pas assez pour que vous puissiez comparer avec les plats de votre mère) et en décorant avec une réduction de vinaigre. Des ampoules à filament apparent et du mobilier en métal forgé feront à coup sûr s’esbaudir la clientèle avec des expressions comme "charme suranné" et "cadre authentique". Et peu importe les plats servis ils ne devront pas avoir un nom de moins de huit mots sur le menu écrit sur une ardoise bien qu’il ne change jamais.

Deux pouces, c'est vraiment pas terrible !

Le bistronomique et le fooding sont des concepts très vagues, que leurs inventeurs peinent à définir et les clients des restaurants concernés encore plus. Pour les décrire, le mieux est de se référer à la définition d’un autre concept d’occidental en soif de nouvelles expériences pas trop nouvelles : le New Age. Wikipédia parle d’un "bricolage syncrétique de pratiques et de croyances, ce courant sert de catégorie pour un ensemble hétéroclite d’auteurs indépendants". La phrase est tronquée et sortie de son contexte, mais ça m’arrangeait bien. Je vous laisse, je vais manger des saucisses-lentilles au bistrot de coin et vous savez quoi ? Je ne vais même pas les prendre en photo sur Instagram !!


Ce que vous pensez de l’article : [rate]

Cliquez pour noter cet article
[Votes : 0 Moyenne : 0]

Un commentaire »

No comments yet.

Répondre à Pédro Torres Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *