Pour retrouver une authenticité qu’ils ne sauraient pas définir, beaucoup de citadins n’ont pas le courage d’aller au Puy du Fou et se contentent de faire leurs courses au marché. Munis de leur petit sac en coton bio, ils vont d’un étal à l’autre et se sentent l’âme d’un José Bové car ils dédaignent un jour par semaine la grande surface où ils ont une carte de fidélité. Leur argumentaire est rodé, mais se rendent-ils compte de l’ineptie d’aller acheter sa nourriture dans la rue en 2015 ?
Les marchés en ville
Curieusement, l’acheteur avisé ne s’offusque pas que les maraîchers proposent quinze sortes de fruits et légumes, dont des tomates en mars. L’acheteur ne remarque même pas les autocollants de marque sur les pommes, ni les pays de provenance. L’acheteur est bien con. Parce que s’il y regardait un peu mieux, il aurait évidemment remarqué que marché ou supermarché, tout ce qu’il achète vient de Rungis. L’achat au producteur est un mythe, les agriculteurs ont mieux à faire que de venir fourguer leur insipide production à des blaireaux incapables de distinguer un concombre d’une courgette. Entre le traitement de leurs champs et la chimiothérapie pour cet inexplicable cancer, ils n’ont pas le temps de jouer à la marchande.
Aller au marché revient à cautionner cette pratique archaïque et nuisible : les rues encombrées, les camions garés sur les pistes cyclables, les hurlements des vendeurs et surtout les vieilles, qui trottinent péniblement avec d’énormes cabas capables de contenir de quoi manger jusqu’à la fin imminente de leurs jours. Calculez donc le temps perdu par des employés municipaux à monter et démonter les structures, et surtout à nettoyer les monceaux d’ordures laissés à la fin de cette mascarade. Imaginez maintenant que ce temps soit consacré à des activités utiles comme agrémenter des rond-points ou discuter autour d’une pelle, et vous aurez la mesure du coût économique des marchés dans nos villes.
Les marchés régionaux
En juillet-août, pourtant seul moment de l’année où notre sol bourré de pesticides veut bien fournir quelque chose de mangeable, les citadins délaissent leurs marchés pour aller transpirer dans le Sud de la France. Là, ils retrouvent d’autres genres de marchés, où des autochtones leur vendent des santons en plâtre et du savon au pistou à un prix qui leur permettra de vivre du RMI les dix autres mois de l’année. Il n’y a aucune raison d’acheter ces merdes inutiles, mais quand on part en vacances dans le Sud, on se rend vite compte qu’il n’y a rien à faire, et quand on s’ennuie, on achète.
Les Alsaciens ont un concept presque aussi bon, avec leurs marchés de Noël deux fois plus chers et dix fois moins pratiques que cette toute nouvelle invention qu’est Internet. Enivrés de vin chaud insipide, des touristes cheap y achètent des horreurs kitsch qui finiront dans les caves humides de leur famille. En regardant de plus près, vous remarquerez que celui qui vous vante les mérites de cette bougie Père Noël est le même que celui qui vous a délesté six mois plus tôt d’une forte somme en échange d’un authentique saladier en céramique décoré de lavande et d’olives.
Il me semble que je ne vais pas promener mon chien ou garer mon scooter chez les maraîchers, alors je ne vois pas de quel droit ces gens viendraient dans ma rue pour fourguer leurs fruits espagnols et leurs poissons morts. Si ces nuisibles peuvent exercer leur profession sur le trottoir, alors pourquoi pas les dentistes par exemple ? Cette aberration doit cesser et je demande à chaque lecteur d’incendier à un étal dès cette semaine en signe de protestation.
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