Cette année, Noël était un peu spécial mais pas tant que ça puisqu’on a encore fait le plein de gras au moment même où les Restos du Cœur faisaient le plein de clients, avant de s’échanger des cadeaux foireux qui finiront dans une poubelle trop vite mais à juste titre. Cuisiner étant un des nombreux moyens de recevoir des compliments, mon besoin malsain de validation m’a incité à faire un repas de Noël aux quelques amis qu’il me reste.
J’ai googlé « repas de Noël » et suis tombé sur l’arche de Noé des plats : tous les animaux imaginables mélangés, aucun légume. À cette époque de l’année il ne pousse que des navets en métropole, mais on compense avec mille variations autour de carcasses d’animaux fourrées avec les organes broyés d’un autre et badigeonnées des ovules d’un troisième. On est mal placés pour reprocher à des Chinois d’avoir mangé une chauve-souris en enculant des pangolins. Pourtant le reste de l’année on se contente très bien de pizza surgelée, mais l’esprit de Noël c’est aussi de gâcher mon précieux temps et mes capacités culinaires au service de la gastronomie et du cholestérol.
Tout est déjà assez compliqué comme ça, mais je suis progressiste donc à ma table sont bienvenus allergiques et végétariens. À ce rythme-là, l’année prochaine on débranche le Linky et on porte des petits chapeaux en papier alu. C’est ça d’avoir un cœur et un esprit ouvert, j’ai toutes sortes d’amis différents de moi – si ce n’est par leur ethnie et leur taux marginal d’imposition. Faut pas déconner, je suis sûrement arrivé à la moitié de ma vie, c’est trop tard pour devenir woke ou apprendre à utiliser TikTok.
Puisqu’il faut soutenir les commerçants de quartier – qui passent 40% de leur temps à commercer et 60% à chouiner sur BFMTV – je me suis mis à la recherche d’une boucherie près de chez moi au lieu d’aller au Franprix comme une personne normale. Pour en trouver une qui ne vende pas d’animaux égorgés vifs par superstition, j’ai dû en dépasser deux ; sans lancer le débat sur la viande halal, j’ai remarqué qu’ils sont mal lotis en terme de boudin. Alors que mon boucher franchouillard était tellement content de m’en vendre 400 grammes qu’il en a coupé un bout long comme le bras. D’ailleurs – surtout à Noël – c’est un vrai challenge d’acheter du boudin sans dire « donnez-moi un morceau de cette chose longue et molle ». Bref, le truc faisait largement 600 grammes, le mec avait dû louper le cours « pesée à l’œil » de son CAP, donc il me l’a raccourci à 450 ce qui a eu l’air de le satisfaire pleinement. C’est 12% de plus que ce que je voulais mais apparemment c’est normal, les mecs ont inventé le surclassement payant forcé. Tu leur ferais repeindre ton plafond, ils te changeraient aussi ton parquet à tes frais parce qu’ils l’ont tâché. La prochaine fois j’en prendrai sous vide, avec le prix affiché et qui n’attend pas nu dans une vitrine tiède depuis des jours.
Une fois les courses faites, plus qu’à suivre la recette étape par étape, mais c’est sans compter sur le grand tiroir à conneries qu’est Internet, où chacun peut mettre son petit grain d’incompétence. Évidemment j’aurais pu douter de la crédibilité du site qui me demandait de me procurer, pour 7 personnes, « 1,75 Dinde de 3 » d’une part, et « 9 kg Prête à cuire » d’autre part. Je passe sur les 39 échalottes, j’arrive à un total de plus d’1,5kg par personne, os inclus mais sans l’accompagnement ni le dessert.
Les gens consciencieux lisent les instructions en entier avant de commencer une recette, mais ils se croient mieux que moi avec leurs petits airs supérieurs et leurs leçons de morale. Est-ce de ma faute si la recette utilise des ingrédients qui ne sont pas listés et inversément ? Pourquoi me demander d’utiliser les litchis pour me dire une demi heure après d’utiliser « les litchis restants » ? Dans quel but me faire acheter une dinde de la taille d’un sanglier pour que j’en mange pendant une semaine à tous les repas ? Comment prévoir 40 minutes de préparation alors que l’épluchage d’1kg de litchis en prend déjà 30 ? Est-ce que les recettes sont rédigées par des abrutis, ou par des trolls géniaux qui nous gâchent noël encore plus sûrement que Jean Castex ?
Les repas faits maison c’est bien, ça montre qu’on tient aux gens et qu’on donne de son temps et de son énergie. Mais les colliers de nouille et cendriers en pâte à sel aussi, et pourtant tout le monde déteste les enfants et leur mauvais goût. C’est pour ça que Dieu a créé Picard, c’est médiocre mais sans efforts ni surprises, comme Noël, comme la vie.