J’écris « comédien·ne·s » pour ne pas alourdir avec « comédiennes et comédiens » (d’autant que les comédiennes mériteraient un article à part) mais je précise à l’attention des polémistes que ça n’est pas un plaidoyer pour l’écriture inclusive. Je n’aime pas ce qui est inclusif. Personne n’aime ce qui est inclusif. Regardez les pubs, les couvertures de magazines : les gens veulent de l’exclusif. Soyons exclusifs ! J’aurais pu titrer « les comédiens blancs hétérosexuels » mais ce serait me priver de l’audience du stand-up et de la comédie musicale. Déjà qu’il n’y a que ma mère qui me lit, je n’ai pas ce luxe. Je me contenterai donc d’écrire « comédiens » et vous saurez que ça concerne tous les genres.
Une fois n’est pas coutume, je vais parler d’un sujet que je connais bien. J’ai pas mal de comédiens dans mon entourage depuis que j’ai moi-même caressé l’illusion de le devenir. Le besoin d’attention et de reconnaissance dont souffrent tous les comédiens, quoi qu’ils disent – et qui me fait tenir ce blog – ne fut pourtant pas comblé. J’ai appris à mes dépens que le public considère sa gratitude comme une contrepartie suffisante – « Ah bon, c’est payant ? » – mais ceux que vous avez le malheur de ne pas divertir déploient beaucoup d’énergie (mais peu de vocabulaire) pour vous chier sur la gueule. Si vous voulez de la reconnaissance (et du pognon) faites plutôt plombier.
À l’époque déjà, je trouvais mes condisciples bizarres. On nous inculque vite à avoir l’aplomb de se présenter comme comédien sous prétexte qu’on en a l’ambition, alors qu’on ne le conseille pas aux aspirants médecin ou pilote de ligne. Dire qu’on est acteur juste sur la base de l’auto-jugement de nos capacités innées peut sembler utile, si on croise par hasard Luc Besson ou bien un réalisateur, mais en général on rencontre plutôt un beau-frère et ses questions sournoises du type « et t’as joué dans quoi ? ». Ta gueule.
Il faut dire que la particularité du comédien parisien, c’est qu’il ne joue pas. En attendant qu’on l’appelle pour un rôle payé – aussi probable qu’une baisse de loyer ou un bon Luc Besson – le comédien partage son temps entre des cours, ateliers, stages, master-class, coaching et formations. Tel un lycéen achetant des préservatifs avant les vacances d’été, le comédien se prépare pour un événement qui n’arrivera pas. Tout ce qui peut donner l’impression de se préparer pour le grand rôle est bon à prendre, tant que ça n’implique pas de se déplacer trop loin ou d’apprendre un texte.
Bien sûr il arrive que certains s’essaient à être productifs en tournant un court-métrage ou en montant une pièce. C’est sans doute du travail pour eux – même si le résultat ressemble à ce que les ados et les retraités font pour leurs loisir – mais ça l’est encore plus pour leur entourage. D’abord il y a le financement participatif, une mendicité 2.0 qui vous propose de financer un projet intrinsèquement déficitaire. Grâce aux réseaux sociaux, où les comédiens ont souvent deux comptes – perso et pro, au contenu strictement identique – vous pouvez suivre contre votre gré l’évolution de la cagnotte de ce projet si spécial par rapport aux 5 000 autres en cours de financement.
Comme si votre argent ne suffisait pas, il faudra ensuite votre approbation. Au mieux, il faudra voter chaque jours sur internet pour le court-métrage – car pourquoi faire un court-métrage s’il n’y a pas une compétition ? – ce que la majorité des gens fait aisément sans prendre la peine de le regarder. Dans le pire des cas, ce sera une pièce qui impliquera de payer, de se déplacer dans un obscur théâtre miteux et de subir deux heures durant un siège et une situation inconfortables, où vos amis vous postillonneront maladroitement un texte indigent au visage avant de soutirer les applaudissements polis d’un public clairsemé et de prolonger la soirée autour d’un verre pour vous parler d’eux avant de vous écouter parler d’eux.
Capricieux, égocentriques et dépendants, vos amis comédiens sont un peu comme vos enfants, si ce n’est que vous pouvez les sortir de votre vie sans avoir recours à un gros oreiller et un bon avocat. Mais restons lucides : ils sont trop, beaucoup trop nombreux. Si tous les comédiens dont personne ne veut se faisaient soudainement une raison et travaillaient de concert à la recherche contre le cancer, ils pourraient… Bon, ils ne pourraient sans doute rien car leur discipline vouée à l’échec ne leur a apporté aucune aptitude, mais au moins cesseraient-ils de nous harceler avec leurs Nikon Festival et autres Feydeau en costumes.
Ce que vous pensez de l’article : [rate]