Certains de mes amis prétendent que je n’aime rien. D’autres reconnaissent plutôt que je suis un génie méconnu et que je mérite la gloire et toutes leurs économies, ce qui fait d’eux de vrais amis. Mais pour répondre aux premiers, je trouve au contraire que je suis ouvert aux nouvelles expériences, et même si j’ai de grosses réserves sur certaines propositions j’ai finalement pris un plaisir inattendu à faire du char à voile ou du snowballing. Mais la curiosité et la soif de découvertes mènent parfois à des erreurs douloureuses.
Quand on se retrouve dans une situation où il faut prévoir une activité estivale, la nullité des propositions est souvent étourdissante. Personne n’a de meilleure idée que le canoë ou l’accrobranche, qui ne sont clairement pas les moyens les plus efficaces de se déplacer. Au bout de dix constats de notre incapacité à diriger un gros étron flottant en plastique jaune, il serait peut-être temps de se consacrer à des loisirs où on prend moins de coups de soleil et de pagaie. Quand on propose une alternative, on pourrait donc l’accueillir avec enthousiasme, sauf si c’est une nouvelle manière de se déplacer lentement, erratiquement et coûteusement par pur masochisme.
Je n’avais pas vraiment d’apriori sur les chevaux ; en bon citadin je ne connais d’eux que les tas de merde fumants qu’ils laissent sournoisement sur des pistes cyclables mal éclairées, dans lesquels n’importe qui pourrait rouler innocemment et se voir le dos maculé d’excréments alors qu’il est en route pour un entretien d’embauche qui est sa dernière chance avant d’être radié de Pôle Emploi et donc de perdre son logement, sa santé, et finalement – lors d’une nuit glaciale et sous l’œil indifférent de passants préoccupés par leurs courses de Noël – la vie. Mais apparemment ces déjections ne sont pas un problèmes puisqu’elles sont laissées là par ceux qui sont chargés de verbaliser les chiens qui feraient la même chose. C’est le pire scandale de l’histoire de la police. ACAB.
Dans le cas présent, il ne s’agit toutefois pas de longer la Seine face à Notre-Dame et autres joyaux de l’architecture, mais de se promener bêtement au bord d’une grosse masse d’eau salée, entouré d’une végétation qui met suffisamment d’efforts dans sa survie pour se permettre d’être moche. Bienvenue en Camargue. L’air est vivifiant ; j’entends par là qu’un vent fétide nous incruste du sable et du sel dans chaque pore de la peau, rappelant un dentiste stagiaire qui aurait raté la bouche lors d’un détartrage.
Alors bien sûr c’est plus discret et écolo qu’un quad, mais au moins quand on demande au quad de tourner ou de s’arrêter il le fait, lui. Ces vieilles carnes promenant des touristes obèses toute l’année se contentent de faire leur tour en pilotage automatique, tels de tristes manèges envahis de mouches. Sauf que des manèges j’en ai fait pas mal, et aucun d’entre eux n’a pour effet de te faire sauter en l’air pour retomber de tout ton poids sur tes couilles, et ce toutes les trois secondes. Je suis un grand militant de la stérilité masculine, mais la vasectomie au ciseau à bois me semble une solution plus agréable.
Le pire, c’est qu’une fois que la torture est finie… elle continue ! Déjà il faut descendre de la bête, constater les brûlures aux cuisses et le déchirement des adducteurs, puis se taper l’odeur pendant tout le trajet retour – en plus de l’enthousiasme des cons qui ont adoré perdre une heure de leur vie. Mais en plus, alors qu’on a payé, il faut s’occuper de Tonnerre : lui enlever la selle, lui brosser ce pelage qui a poncé notre peau une heure durant, et même lui filer à bouffer alors qu’il a déjà passé son temps à brouter la laide végétation, retardant le moment de la délivrance. Où est-ce qu’on doit filer à bouffer en plus de raquer ? Les Pakis des cuisines de palace, je les regarde pas manger leur luzerne quand j’ai fini mon caviar !
On va me rétorquer qu’il y en a à qui ça plait, mais avec des arguments pareils on justifie les pédophiles et les fanzouzes. Les chevaux nous ont bien servis jusqu’à ce qu’on invente la machine à vapeur, il est temps d’arrêter de leur monter dessus et de les laisser vivre leurs vies. Par là j’entends courir en rond, chevauchés par des nains, pour distraire les gilets jaunes de leur prochaine révolution, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus bons qu’à faire de la colle.