Les publics d’émission télé

24 octobre 2014 by Guillaume

Si vous faites partie des millions de Français qui ne travaillent pas parce qu’ils sont chômeurs, retraités ou Olivier Dassault, vous avez peut-être du mal à occuper votre temps libre. Certains font du bénévolat ou reprennent leurs études, d’autres vont assister à des émissions de télévision. Il se trouve qu’avant de croiser quotidiennement ces masses anonymes et volontairement soumises, j’ai moi-même fait partie de cette sous-humanité, ce qui me permet de livrer ce témoignage.

Quand on a besoin d’une foule au cinéma, on file 80€ à des gens qui croient qu’ils seront acteurs un jour. Quand on veut une foule à la télé, on invite les gens en faisant passer ça pour un privilège. Youpi ! Vous allez pouvoir passer des heures assis sur un gradin inconfortable pour voir une émission que vous auriez pu regarder tranquillement chez vous, une main sur la zapette, l’autre dans le calbut. Mais vous allez approcher vos stars préférées et profiter d’une expérience collective. Pourtant, on le sait, les expériences collectives n’ont jamais marché, que ce soit le communisme ou le cinéma en plein air. Voilà ce qui va vraiment se passer.

Le recrutement
Une jeune femme dans la rue, une vague connaissance sur Facebook ou quelqu’un d’autre va vous proposer d’assister gratuitement à un enregistrement. Votre interlocuteur sera plutôt évasif sur les horaires mais vous ne vous méfierez pas : après tout une émission ça dure deux heures maximum ! Ce que vous ne savez pas, c’est que ces gens sont payés (en toute illégalité) à la tête. Oui, vous êtes une tête, comme du bétail, et la personne à qui vous avez distraitement dit oui vient de gagner l’équivalent d’un Big Mac.

File d'attente devant un studio

Quelle que soit votre place dans la file, vous serez assis derrière les mannequins achetés au kilo par la production.

L’accueil
Vous serez tout excité de découvrir les coulisses de la télé, et vous arriverez 30 minutes avant l’heure dite. Dommage, les portes s’ouvriront 30 minutes après l’heure dite. Puis ce sera la queue au vestiaire, puis on vous prendra éventuellement votre carte d’identité. Puis vous attendrez. Puis on vous fera entrer sur le plateau. Vous attendrez. On vous placera en vous faisant croire que c’est une question de couleur de vêtements. En fait, le réalisateur vient de dire "vire-moi le gros derrière Mathoux" ou "on voit la touffe de la blonde, mets un mec plutôt". On a la classe à la télé.

Le chauffeur de salle
On ne laisse pas un troupeau livré à lui-même, sans un chien de berger pour venir mordiller les mollets des brebis. Pour vous, ça s’appelle un chauffeur de salle. C’est lui qui va vous faire applaudir les jingles, les magnétos, voire Yann Moix parce que l’intonation de sa voix laissera croire qu’il fait une brillante déclaration, même si c’est l’habituelle merde qui sort de sa bouche. Le but du chauffeur de salle est d’encourager votre comportement grégaire : si votre voisin rit, riez aussi ; s’il y a une standing ovation à l’entrée de Patrick Balkany (authentique!), levez-vous. Surtout, ne réfléchissez pas, on est à la télé, bordel!

Le tournage
Vous serez donc là depuis deux heures et l’émission va bientôt commencer. Si vous avez de la chance, elle sera en direct et vous saurez avec certitude combien de temps vous allez la regarder sous un angle inédit, à savoir dans le dos des intervenants. Dans le cas contraire, on vous affirmera toujours qu’il ne reste qu’une seule séquence, et que votre calvaire touche à sa fin. Heureusement, pour les tournages les plus longs on change de public en milieu de journée, comme on change l’huile d’une voiture quand elle est usagée.

Le public d'On n'est pas couché, au début et à la fin de l'enregistrement de l'émission.

Dans une autre vie, j’étais graphiste.

À la sortie
Enfin, la torture prend fin. Vous n’aurez pas eu le droit de pisser depuis cinq heures et vous allez avoir besoin de quelques séances de kiné, mais vous pourrez partir. Vous vous retrouverez sur un parking de la Plaine Saint-Denis à deux heures du matin, celui qui vous a promis le dernier métro sera déjà en route pour chez lui avec l’équivalent d’une semaine de votre salaire. Tous les taxis seront déjà pris par la prod, vous rentrerez à pied dans le froid et vous serez probablement violé par un toxicomane séropositif à Porte de la Chapelle. Pourtant vous subirez à nouveau l’émission lors de sa diffusion pour vérifier si on vous voit bien vous curer le nez à l’arrière plan.

Un pouce, y'a pas de quoi pavoiser !
Vous qui envisagiez de perdre des heures de votre vie sur un plateau de télévision, vous avez raté les grandes heures de la télé où un Ardisson cocaïné jusqu’aux yeux tournait pendant six heures sur un plateau climatisé à douze degrés et où les enregistrements de C’est mon choix duraient si tard dans la nuit qu’ils terminaient sans public. Mais ne vous inquiétez pas, Alessandra Sublet présente (pour l’instant) une émission au premier étage de la Tour Eiffel, vous pourrez donc facilement abréger vos souffrances après avoir subi deux heures de vide intellectuel.


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