Entretiens CQJP #1 : Les handicapés

24 août 2012 by Guillaume

Du sexe sur fauteuil

Avec l’exposition des jeux paralympiques à la télé, la sortie de De rouille et d’os et le succès d’Intouchables à l’étranger, on peut dire que l’année 2012 (dont je me permets de tirer le bilan dès le mois d’aout) est celle des handicapés. En tout cas celle des handicapés physiques, parce que pour les autres ça a été moins rose, cf. la défaite électorale de Nadine Morano. Mais comment les personnes en situation de handicap (je suis parfois politiquement correct) vivent-elles cette nouvelle donne, à part en nous roulant sur les orteils d’un air de défi ? Pour le savoir, plutôt que de rédiger une tribune qui enflamme l’opinion, je me suis tourné vers Alexandre, mon ami d’enfance qui a malencontreusement perdu ses mains à l’âge de 14 ans et que nous surnommions affectueusement Capitaine Crochet au collège. Je lui ai donné rendez-vous dans un bistrot en bas de chez moi.

Ce que j’en pense : Salut Alex, ça roule ?
Alexandre : Ça va et toi ?
CQJP : Tu es sensible à ce genre d’humour ou ça te blesse ?
Alex : Quel humour ?
CQJP : Ben, demander "ça roule ?" à un handicapé…
Alex : Oui mais je ne suis pas en fauteuil roulant moi.
CQJP : Ça ne t’empêche pas d’avoir une place prioritaire dans le métro hein !
Alex : C’est possible… mais je suis resté à Saint-Prix-lès-Arnay, il n’y a pas de métro de toute façon.
CQJP : C’est dommage, c’est gratuit pour les gens comme toi.
Alex : Les… gens comme moi ?
CQJP : Oui, c’est marqué sur le règlement : gratuit pour les mutilés des deux mains 
Alex : Bon, tu m’as dit que tu avais du travail, on ne va pas parler de mes mains tout l’aprem, j’ai un train pour rentrer à 17 heures et vu le prix je préfère pas le rater.
CQJP : C’est vrai, ça coute un bras !
Alex : Hum…
CQJP : Mais tu as raison, parlons travail. Tu as déjà travaillé ? Tu arrives à faire quelque chose avec tes… tes trucs là ?
Alex : Oui, tu vois avec ces espèces de pinces je peux attraper pas mal de choses, je suis autonome dans la vie et je peux même…
CQJP : C’est dégueulasse…
Alex : Pardon ?
CQJP : On dirait les jeux dans les fêtes foraines, où on doit piloter un crochet pour attraper un cadeau.
Alex : Je ne vois pas le rapport. En tout cas je suis très habile, et quel que soit le travail que tu me…
CQJP : Ça fait mal quand tu te branles ?
Alex : Hein ?!
CQJP : Ça doit racler !
Alex : Écoute, ça n’est pas ton problème, et pourquoi je me… ferai ça alors que j’ai trente ans et que je suis marié !
CQJP : Tu es marié ? Tu m’avais pas dit !
Alex : Je t’ai invité au vin d’honneur pourtant.
CQJP : Ah mais je ne vais pas aux mariages en province, désolé. Et c’est quoi son problème à elle ?
Alex : Bon, en quoi ça consiste ce travail ?
CQJP : On ne s’est pas vus depuis dix ans et tu ne penses qu’au travail !
Alex : C’est à dire que c’est un peu compliqué pour moi financièrement, et d’ailleurs venir jusqu’ici…
CQJP : Oui, bah tu dois bien avoir des réducs. Et ça te fait mal tes mains ? J’ai entendu parler de douleurs fantômes, des trucs comme ça…
Alex : Non, ça va, merci !
CQJP : À l’époque je me rappelle, tu avais dégusté, c’était pas beau à voir !
Alex : Oui, j’ai eu de la chance de m’en sortir.

Schéma des amputations de membres supérieurs

Schéma à consulter avant de pratiquer l’amputation dans votre cuisine.


CQJP : Quelle idée de jouer avec des explosifs !
Alex : C’étaient de simples pétards, on ne sait pas ce qui a produit une telle explosion.
CQJP : Ah ça Alex, le C-4 ça ne pardonne pas !
Alex : Qu’est-ce qui te fait penser que c’était du C-4 ?
CQJP : Comme mon père était artificier je pouvais facilement… enfin c’est une déduction. Tu cherches du travail donc ?
Alex : Heu… Oui, c’est pour ton offre de travail que je suis venu à Paris.
CQJP : Mais de quel travail du parles depuis tout à l’heure ?
Alex : Quoi ? Mais tu m’as dit de venir, que tu avais du travail !
CQJP : Ah d’accord, je vois… Mais moi j’ai du travail, et j’avais besoin de toi pour mon blog, pour te poser quelques questions.
Alex : Tu m’as fait venir pour me poser ces questions-là ?
CQJP : Je n’aime pas trop que tu remettes en question ma ligne éditoriale… Bon, je dois y aller. On partage ?
Alex : Comment ça on partage ? J’ai pris un coca et toi un sole meunière !
CQJP : Tu es vraiment une pince ! Blague à part, c’est quand même mes impôts qui paient pour ton allocation d’adulte handicapé.
Alex : Quels impôts ? Tu m’as dit que tu n’en payais pas vu que tu faisais tout au black.
CQJP : Pfff… De la calomnie maintenant ? Bon, je t’invite, mais c’est bien parce que tu es venu.
Alex : J’ai dépensé 150€ pour venir répondre à des questions débiles que tu aurais pu me poser par téléphone… Tu es un monstre !
CQJP : Oh, dis-donc, c’est pas de moi que les enfants ont peur ! Alors c’est qui le monstre ? Et puis j’ai déjà commencé des entretiens par téléphone, on me raccroche tout le temps au nez.
Alex : Ça t’étonne ?
CQJP : Vu le manque de recul que vous avez, franchement pas ! Je préfère François Cluzet. Allez, bon retour au bercail !

Deux pouces, c'est vraiment pas terrible !
J’attribue à Alexandre les deux pouces qui lui manquent. Moi qui entamais cette enquête avec un bon apriori, je suis extrêmement déçu par les handicapés que j’ai pu rencontrer. Alors que l’évolution des mœurs a permis de remplacer les indécents spectacles de monstres du 19ème siècle par les jeux paralympiques, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient un peu moins aigris et plus aimables qu’Alex.


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