En me réveillant, cet après-midi, mon salon était calme. Aussi calme qu’il peut être avec le voisin du dessous qui joue de la ponceuse toute la journée au point que je me demande si tout le contenu de son appartement cloisons comprises n’est pas déjà réduit à l’état de fine poussière. Calme, donc, et inerte, si ce n’est l’écran de mon PC encore éteint dont la petite lumière bleue clignote comme pour répondre à celle de mon téléphone qui semble réclamer mon attention pour un motif probablement futile. Derrière moi la télé, moins classe, se contente d’un bête signal rouge et fixe. Ces grosses surfaces noires, plates et inertes semblent me dire avec ces petites LED "je suis vivant", ce qui me fait furieusement penser à HAL dans 2001, Odyssée de l’espace. Soudain je prend conscience de tous ces objets morts sont beaucoup trop vivants.
Je dois avoir un bon mètre carré d’écrans chez moi. Éteints, ils ressemblent à des portes de four, que la disparition des tubes cathodiques m’empêche d’orner d’un napperon ou d’un chat. À une époque, les meubles télé se fermaient (parfois à clé) pour dissimuler les postes massifs derrière de magnifiques panneaux de bois verni assorti aux chaises du salon. Maintenant, l’écran plat se colle contre un mur, prétendant être discret alors que sa surface délirante trahit la volonté inverse. Comment rater ce monolithe sombre au milieu d’une pièce décorée avec goût ? Ne jure-t-il par entre les bougies Ikéa et les plantes en plastique ?
Le meilleur moyen pour le rendre moins inquiétant est de l’allumer. Paradoxalement, c’est à ce moment-là qu’il devient un trou noir : toutes les conversations sont détruites, les velléités de faire quelque chose de productif sont aspirées dans son vortex d’images mouvantes. N’importe quel programme, de préférence qui insulte l’intelligence, devient le centre absolu d’attention. Il suffit de manger dans une de ces horribles brasseries où des écrans diffusent Eurosport en continu pour s’en rendre compte : vous pouvez annoncer votre cancer des ovaires à votre meilleur ami, il restera hypnotisé par la compétition de tir à l’arc derrière votre dos.
Comme les GPS, qui se défaussent en prévenant qu’il ne faut pas les utiliser en conduisant ni suivre leurs indications à la lettre, les télés devraient être légalement obligées de demander au démarrage si on a vraiment quelque chose à regarder ou juste une profonde solitude qu’il serait plus sain de combler avec un enfant adopté ou du whisky. Ensuite, un message culpabilisant s’afficherait tous les quarts d’heure pour faire prendre conscience au téléspectateur de la vacuité de sa vie. Cette mesure, que je vais proposer au CSA, permettrait d’économiser 1TWh par an, de relancer la natalité (quand on s’ennuie on mange, quand le frigo est vide on baise), de désengorger les Internets et de destituer Nabila de son statut de célébrité. Quand elle mourra, courant 2014, on en parlera plus que de la disparition de Paul Preboist, ce qui est bien le symptôme d’une société malade.
La seule bonne raison d’allumer un écran est de lire Ce que j’en pense, et encore je suis prêt à vous faxer les articles, si vous êtes assez vieux pour posséder un fax.
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