Dans une tentative désespérée d’alimenter ce blog, j’ai voulu tester pour vous, lecteurs ingrats, une nouvelle activité : la rando. Ne pratiquant aucun sport, j’ai préféré la faire à la cool, c’est à dire seul, à l’étranger, sur trois jours et en altitude. Ai-je tapé ces mots moi-même ou les a-t-on retrouvés sur mon cadavre pourrissant au fond d’un canyon ? Vous le saurez dans quelques minutes – ou dans quelques secondes si vous allez directement à la fin mais dans ce cas vous êtes un piètre connard.
Jour 1 : pénible début
7h30 : Avec un peu de retard sur mon planning approximatif, je quitte le village. Des chiens, des chats, des poules… on se croirait dans un film de Kusturica, la musique en moins et l’odeur en plus.
7h50 : Je me rends compte que j’ai oublié le rouleau de PQ que j’ai transporté sur 10 000 km, juste le jour où il risque de m’être le plus utile. Flemme de faire demi-tour. Tant pis pour le Lotus Just One, je prendrai les feuilles de mon cahier, la végétation étant quasi inexistante.
12h : Me voilà arrivé au premier hameau, après avoir marché 10 km en plein soleil. Et oui, j’aurais eu besoin de papier toilette en route. Il y en a en vente ici, mais j’ai atteint un point de non-retour qui fait que ce serait absurde de m’en procurer maintenant. Je préfère acheter une bouteille d’eau hors de prix – en même temps elle est arrivée ici à dos de mule, c’est plus justifié qu’à Disneyland – et faire une sieste à l’ombre.
13h45 : Remontée entamée depuis vingt minutes. J’en suis à ma huitième pause. Alors que je crache des bouts de poumons sur le bord du sentier, une petite vieille en sandales avec un fagot de bois sur le dos me dépasse. En arrivant à ma hauteur, elle fait quelques saltos et s’allume une clope. Soit j’ai le mal de l’altitude, soit elle se fout ouvertement de ma gueule. Elle ferait moins la fière en correspondance à Châtelet !
15h15 : Au village, je trouve une auberge qui coûte le prix de 3 bouteilles d’eau et qui propose une douche chaude – en réalité un bidon métallique exposé au soleil. J’ai moi-même fait croire à des scouts qu’ils prendraient des douches chaudes avec ça : c’était un mensonge. Mais je suis quarante fois moins nombreux qu’eux, donc ça marche. Tandis que je frictionne mon corps d’athlète, un jus de crasse, noir et salé, s’écoule dans la bonde, sans doute pour rejoindre le ruisseau où je me suis rafraîchi plusieurs fois sur la route.
18h20 : Il fait nuit, je n’ai rien de mieux à faire, alors je vais me coucher. Mes chaussettes du jour sont aussi rigidifiées que celles d’un adolescent (certains comprendront) mais j’en ai d’autres pour la suite. Par contre j’ai oublié de prendre un t-shirts de rechange. J’ai donc rincé celui d’aujourd’hui qui fait maintenant semblant de sécher sur une chaise. Verdict demain, pour l’instant je me glisse sous soixante kilos de couvertures.
Jour 2 : un raccourci… vers la mort
3h30 : Comme on pouvait s’y attendre, je me réveille, ayant assez dormi. Il fait nuit noire mais un coq chante toutes les quinze secondes, merci l’éclairage public. Je n’arriverai jamais à me rendormir.
6h12 : Mon réveil sonne, il faut que je sorte affronter le froid glacial. Miracle : mon t-shirt est sec, mais pour l’instant j’ai surtout besoin d’une polaire. Je pars en grelottant au lever du soleil.
8h : Après une bonne descente, j’arrive sur… une route. Des engins de chantier sont en train de la prolonger dans une direction qui me laisse perplexe, à moins qu’ils ne prévoient une pente à 45°. Je continue sur cette piste poussiéreuse jusqu’à un carrefour. À gauche : ma destination, à seulement 1h30 de marche. À droite, une occasion de rallonger considérablement le trajet par un chemin inconnu. J’ai de la bouffe en quantité, un demi litre d’eau ; je fonce.
9h45 : Un 4×4 s’arrête à ma hauteur. C’est la "police des montagnes", qui me demande où je vais. La communication est difficile puisque mon espagnol se limite aux chansons de la Mano Negra, mais je comprends qu’il veut que je prenne son numéro en cas d’urgence. Au prix du roaming, je préfère crever que de l’appeler. Ils repartent donc, après m’avoir donné des indications vagues, contradictoires et inintelligibles. Il me reste 25cl d’eau.
12h : Je pisse orange, je n’ai plus d’eau, je décide donc de faire demi-tour après une pause repas. Je croyais avoir acheté des tranches de jambon en conserve, ce que je trouvais être une bonne invention, en réalité c’était une sorte de corned beef mais de porc. J’ai pas fait le difficile et je m’en suis enfilé 200 grammes.
Il existe un raccourci controversé pour mon étape du soir : il est "non conseillé" dans la liste des trecks, mais pourtant dessiné sur le tout petit plan distribué par mon auberge. Ça me semble être une bonne idée vu que ça m’évite de revenir totalement sur mes pas.
13h : Quelle idée de merde ! Le chemin, ou ce qu’il en reste, est pentu et effacé par des éboulis, qu’il faut traverser. Chacun est de plus en plus dangereux, mais faire demi-tour voudrait dire reprendre les précédents et s’agripper à des racines au dessus de cailloux qui forment un véritable toboggan jusqu’au fond du canyon, quelques centaines de mètres plus bas.
14h : Je m’en suis enfin sorti et j’aperçois une famille qui a pris un chemin tout aussi incongru. Je discute de mon héroïsme avec le père, quand son fils de quatre ans me prend la main pour mieux m’entraîner dans son éventuelle chute. Le petit effronté ne me lâche pas jusqu’à l’arrivée au village où des piscines nous attendent. Je claque tout le pognon qu’il me reste en bières avec des groupes de touristes.
23h : Mon téléphone fait bip-bip parce qu’il est presque décédé. Il n’y a pas d’électricité dans mon hôtel (en réalité cinq matelas poussiéreux posés sur du béton) mais s’il ne tient pas jusqu’au matin, mes amis et leur morveux ont prévu de se lever à 5h30 de toute façon.
Jour 3 : l’angoisse
??h : Je suis réveillé par les bruits du dehors parce que les fenêtres de ma chambre sont juste des trous. Je me lève et l’aubergiste m’indique qu’il est 6h15. Ai-je précisé que j’avais un bus à 9h au village situé 1000 mètres plus haut ? Je pars en courant sur le sentier.
7h45 : Je croise un vieux avec écrit "Québec" sur sa casquette. Ça ne loupe pas : il est Québécois. Je lui demande l’heure et pendant que je halète comme un bouledogue asthmatique, il me dit qu’il y va doucement parce qu’il n’est pas en grande forme, mais qu’il compte faire l’aller-retour dans la journée et qu’il n’a pas pris de lampe. Je suis rassuré de ne pas être le plus con du canyon.
8h10 : Une espèce d’albinos cancéreux (ou simplement un Scandinave chauve) me double. Le soleil tape mais il n’a pas de casquette, ne transpire pas, et je n’entends pas le son de sa respiration. Je prie intérieurement pour qu’un rocher l’écrase.
8h50 : Presque arrivé en haut, je tombe sur un mec en uniforme. Tout d’un coup me revient le souvenir d’un billet touristique qu’il faut acheter pour visiter la région. Celui que je n’ai pas, et dont j’ai bu l’argent qui lui était destiné. Après un moment d’angoisse, j’arrive à fourguer des dollars au mec, qui me dit que c’est encore jouable pour mon bus puisqu’il ne partira jamais à l’heure. Je cours tout ce que mon corps meurtri est encore capable de courir, c’est à dire à la vitesse d’un émeu unijambiste.
9h15 : Je récupère mon sac à l’auberge et je me jette sous les roues du bus qui passe devant. Juste à temps. Je monte dedans, je souffre, je suis baigné de sueur mélangée de poussière, mais je suis en vie.
La randonnée, c’est comme un vrai sport : c’est aimer se faire du mal là où on pourrait louer un quad. Le lendemain de ma spectaculaire ascension, mon tendon d’Achille a commencé à me faire souffrir à chaque pas. Sans doute une punition des dieux du canyon pour le cadeau que je leur avais laissé le premier jour.
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