Un jour comme un autre tu te promènes dans la rue et là tu vois Alain Delon. Pas en vrai, hein, sur une affiche. Et là tu te demandes : est-ce qu’on l’a sorti du formol pour un film ou pour les municipales au Front National? Rien d’aussi grave, il est juste en couverture de Winner du mois d’octobre. Vous ne connaissiez pas Winner? C’est pourtant, d’après le sous-titre, "Le magazine des gagneurs // The magazine of success".
Sur l’affiche du kiosque, la citation "Seules les étoiles portent le sceau du destin !", avec ce point d’exclamation si sûr de lui, évoque Oscar Wilde à son sommet. Pourtant l’auteur de cette pensée profonde n’est autre que Véra Baudey, la directrice de publication, qui mentionne même son adresse mail en @wanadoo.fr comme tous les gagneurs. Finalement, la perspective de devenir un winner pour 5€ et susciter la jalousie de mon entourage l’emporte sur mes réticences.
Mon Winner en poche, je me précipite pour découvrir "les tables winner" et "le billet de Jacques Séguéla" promis en couverture. Double page de pub pour un hôtel à Genève, double page de pub pour Banque Palatine, double page de pub pour le Fouquet’s Barrière, caricature anti-Hollande et j’arrive au sommaire. On me promet encore du Delon, "l’ultime star", "un homme de la race des Seigneurs". Je me sens à l’étroit dans mon slip, ce doit être l’effet winner.
Quelques pages (de pub) plus tard, l’édito de Véra Baudey qui, comme le reste du magazine, est bilingue, ce qui suppose que ses lecteurs ne le sont pas. Ou alors c’est un stratagème pour gagner de la place, ce qui serait vraiment une attitude de winner. Véra profite de cette page pour traiter de sujets polémique, comme la couleur rouge, et les illustrer de photos d’elle en Pamela Anderson savourant une coupe de champagne sur la plage. Le genre de sexagénaire qui paie des drinks à des mineurs avant des les emmener faire un tour dans son donjon.
Vient ensuite le billet de Séguéla qui ne se s’exhibe malheureusement pas en monokini rouge, mais qui s’étale sur dix pages. Certes, sur les dix il y en a six de photos (dont deux de l’auteur qui ressemble de plus en plus à une pomme au four), et une presque remplie par le titre. Ça laisse trois pages à torcher, ou plutôt une et demie puisqu’il y a les versions françaises et anglaises. Pas de quoi perdre son dentier pour papy Jacquot.
Le meilleur arrive avec l’interview de Delon et les questions choc de Véra Baudey, que l’on croirait sortie de l’imagination d’un parodiste feignant :
Vous êtes un acteur universel, connu dans le monde entier. Une légende?
Dans les pays de l’Est, je suis un roi. Au Japon et en Asie, je suis un dieu! […]
Vous avez toujours un physique exceptionnel. Comment faites-vous?
[…] J’aurai 78 ans dans un mois, personne ne peut le croire. […] Je ne me maquille jamais, je n’en ai pas besoin.
Après ce cirage de pompe, la section culture rédigée par Véra Baudey, puis la section écologie qui sur sept pages (dont une et demie de texte) explique en quoi la France doit avoir honte de son droit de travail, de ses syndicats et de son principe de précaution. Le "journaliste" ose même donner en exemple les USA qui grâce à l’exploitation du gaz de schiste respecteraient les accords de Kyoto… Après vérification, la seule explication possible serait qu’un quart de la population du pays ait subitement disparu sans que j’en sois informé. Pour sortir du marasme, l’auteur a une suggestion : "Nous avons plus que jamais besoin de Winners, surtout de Winners en devenir, de ceux qui […] feront que notre pays […] redeviendra un pays Winner!"
Tout le reste n’est qu’une suite de publi-rédactionnel pour des voitures, pour Monaco, pour des restos, du pinard et des montres. Petit cadeau pour la fin : le loser du mois, titre décerné à Cécile Duflot, "la verte qui pollue". Juste une photo pleine page et cette assertion. Et enfin, après une dernière pub pour un hôtel de luxe à Milan, la fin.
Le ridicule ne tue pas, et c’est tant mieux pour Véra Baudey qui signe à elle seule la moitié de ce torchon. Ces 130 pages étirées promettaient d’être drôles comme du Jean-Claude Van Damme, mais ce n’est finalement qu’un croisement hideux entre le Figaro et un magazine de compagnie aérienne. Le résultat est cheap, mais au prix d’un numéro on peut se payer un mois d’abonnement au Canard Enchaîné, ce qui est sans doute un truc de loser.
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